Bibliodiversité, l’ouvrage de l’éditrice féministe australienne Susan Hawthorne, est un petit bijou de précision et de radicalité sur les questions d’expression équitable (fair speech).
La notion de « bibliodiversité » est née dans les années 1990 au sein d’un collectif de maisons d’édition indépendantes chiliennes, et il s’est peu à peu imposé dans les mondes du livre et de la lecture, notamment à travers le soutien de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants – qui en a fait une notion-clé au sein de son réseau mondial de 750 maisons d’édition.
La « bibliodiversité », pour le dire le plus simplement possible, c’est la diversité des manières de raconter des histoires, partout sur la planète et dans toutes les langues.
Cette diversité des manières de dire (corollaire à la biodiversité), bien que de plus en plus écrite, reste majoritairement orale. Et, à côté des grandes langues véhiculaires (arabe, anglais, espagnol, portugais, français…), c’est aussi à la myriade des cultures des quatre coins du globe qu’il s’agit ici de penser pour envisager notre problème. Comme le dit Susan Hawthorne : « Les faiseurs et faiseuses de bibliodiversité vivent en marge socialement et politiquement, et souvent aussi géographiquement et linguistiquement. »
Prendre sérieusement en considération les enjeux de bibliodiversité depuis chez nous amène à opérer au moins trois décentrements :
Une approche internationale.
L’approche des livres et de la lecture par l’angle de la bibliodiversité empêche toute réflexion uniquement franco-française. La circulation des idées, comme la fabrication des livres, sont pris à l’intérieur de réseaux mondiaux multiples. Défendre la diversité des idées et des manières de dire, c’est donc aussi nécessairement défendre la possibilité pour tous les êtres humains, et pour toutes les cultures et toutes les langues, de s’exprimer.
La lutte contre les dominations croisées.
A l’intérieur de la chaîne du livre française, les effets sont là aussi majeurs. Si l’on fait atterrir cette réflexion internationale plus près de nous – dans nos réalités quotidiennes et nos métiers – on voit que la bibliodiversité doit aussi être défendue en France. La lutte contre l’uniformisation et la concentration sont des enjeux de premier ordre. Favoriser la capacité de toutes et tous à s’exprimer et à être entendu·es dans notre société tout autant. En cela la bibliodiversité permet de lutter pour une société plus juste et plus émancipatrice, où toutes et tous pourraient s’exprimer équitablement.
La perspective écologique.
Enfin, et non des moindres, les enjeux de bibliodiversité font des échos multiples avec les enjeux de biodiversité. Fabriquer et diffuser des livres sans détruire la vie sur Terre est un programme ambitieux au sein de notre monde pétri d’extractivisme. La bibliodiversité recoupe en profondeur nos trois écologies du livre (matérielle, sociale et symbolique). Et il semble fécond d’envisager défendre tout en même temps la biodiversité et la bibliodiversité – ou, autrement dit, de prendre soin de la vie et de prendre soin des manières dont on la raconte.